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Un nouvel état d’urgence pour la politique de la ville

La politique de la ville a été initiée pour apporter des solutions concrètes aux problèmes des territoires prioritaires. Elle concerne 5,5 millions de personnes dans 1500 quartiers qui cumulent des handicaps : chômage, délabrement de l’habitat, échec scolaire, délinquance, radicalisation, mono-parentalité… autant de problématiques qui menacent l’avenir de notre République.

Pourtant, la politique de la ville vient encore de subir une baisse de budget significative. Une réduction de 11% après la réduction de10 % entre 2012 et 2014, soit plus de 80 millions d’euros de moyens en moins pour agir dans les quartiers dits prioritaires.

Aujourd’hui de nombreuses villes sont au bord de l’épuisement, elles connaissent des difficultés sociales immenses et sans solution. Les quartiers se sont ghettoïsés, les trafics s’y sont largement intensifiés rendant la vie des populations impossible. On parle de 150 000 personnes impliquées dans le trafic de cannabis soit l’équivalent d’une très grande entreprise française. Dans ces « zones », notre pays est menacé d’explosion à tout moment. De nouvelles problématiques majeures se sont ajoutées avec l’arrivée des réfugiés, la hausse du décrochage scolaire, et bien sûr le phénomène explosif de la radicalisation.

Tout cela concerne l’ensemble de la société française et fragilise notre République.

On ne peut donc que s’étonner de cette décision quand on connait l’impact positif réel d’un investissement majeur dans les quartiers, permettant à titre d’exemple le relogement dans des conditions décentes de plusieurs millions de personnes. La rénovation urbaine sous Jean-Louis Borloo alors ministre d’Etat avec un poids politique fort, a mobilisé 45 milliards en 10 ans pour 430 programmes effectués. La mise en place d’un plan de cohésion sociale a permis le lancement de grands programmes, l’agence des services à la personne ou la réussite éducative…

Une nouvelle ère de la politique de la ville doit s’ouvrir, elle est vitale. C’est ici que réside l’état d’urgence. Ne pas prendre la mesure de cette situation est une faute lourde de conséquences pour notre pacte républicain.

Un changement radical de méthode s’impose :

Lançons le Grenelle de la fraternité dans les quartiers regroupant acteurs, experts, collectivités, grands leaders associatifs, monde scolaire, entreprises engagées…

Pour sortir les quartiers de leur marasme inquiétant ouvrons sans attendre un grand débat avec l’ensemble de la société française et les élus locaux, premiers concernés. Certains de ces élus sont de vrais héros tant leur situation est devenue d’une grande complexité : Chanteloup-les-Vignes, Arras, Montceau, Sevran, Epinal, le 3ème arrondissement de Lyon…

La politique de la ville doit être repensée en s’appuyant sur ceux qui ont réussi et qui s’engagent dans les quartiers à l’instar des projets regroupés au sein de Bleu Blanc Zèbre. Des initiatives déjà existantes méritent être étendues : Thierry Marx avec son projet de formation autour de la restauration, Passeurs d’Art avec ses programmes qui réinsèrent les jeunes avec la musique classique ou encore Lire c’est Partir qui lutte contre l’illettrisme en vendant des livres à 0,80€ l’exemplaire… Pour illustrer l’énergie de ces quartiers, la moitié des champions olympiques qui nous ont enthousiasmé l’été dernier y ont grandi. Redonnons de la fierté à ces quartiers ou de grandes histoires s’écrivent mais qui sont trop souvent caricaturés. Luttons contre la fatalité qui ne voit les quartiers sensibles que comme des problèmes alors qu’ils regorgent de solutions innovantes auxquelles il faut oser faire confiance.

Nous appelons les médias, les politiques, les entrepreneurs à s’impliquer durablement dans ces lieux afin qu’ils participent au grand renouveau de notre pays souhaité par le nouveau gouvernement.

Pour qu’un grand débat puisse avoir lieu et donner naissance à un nouveau plan pour les quartiers, redéfinissons quelques enjeux prioritaires de ces territoires. La liste est longue mais quelques grands objectifs sont rapidement atteignables :

L’insertion professionnelle des jeunes peu ou pas diplômés (plus de 2 millions de jeunes en France) : les entreprises doivent se mobiliser pour recruter différemment et former de nouveaux talents qui participeront à la dynamique de l’entreprise. L’expérimentation menée autour du sport par l’APELS (Agence pour l’éducation par le sport) et des banques françaises (10% du recrutement chez LCL et le Crédit Agricole) dans une quinzaine de quartiers prioritaires est exemplaire et doit être étendue. Pour l’insertion des jeunes déjà diplômés issus de ces quartiers il est indispensable de généraliser les actions déjà menées par Mosaik RH ou Nos quartiers ont du talent.

Les femmes isolées : elles sont sur-représentées dans les quartiers de zones urbaines sensibles (ZUS) dans lesquelles plus d’une famille sur 4 est monoparentale (9 sur 10 sont des femmes). Un peu plus d’une famille monoparentale sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté. Ces femmes se démènent pour tenter d’éduquer leurs enfants et survivre. Soutenons-les de manière innovante pour les aider à s’en sortir. Des actions comme Fraveillance ou Co-Toiturage existent déjà, donnons leur les moyens de se déployer partout.

L’échec scolaire et le manque de mixité sociale dans les quartiers : chaque rapport pointe hélas des chiffres trop importants de jeunes sortant du système scolaire sans diplôme et de plus en plus tôt. Des mesures ambitieuses comme les internats d’excellence doivent être relancés. Redonnons de la joie aux apprentissages, 73% des jeunes n’aiment pas aller à l’école*. Utilisons massivement ce qui les intéresse, le sport et la culture, à l’instar de ce qui a été mis en place en Islande pour lutter contre l’alcoolisme des jeunes et la consommation de cannabis. En 1998, 45% des jeunes islandais avaient consommé de l’alcool massivement, en 2016 seulement 5%. L’Islande est en tête des pays européens où les adolescents ont une vie saine. La fréquentation des lieux sportifs et culturels y a explosé.

Le budget de la politique de la ville pourra être à la hauteur des nouveaux grands enjeux du pays en mobilisant l’ensemble des ministères et acteurs concernés.

Une vague de nouveaux élus vient de déferler à l’Assemblée : Mesdames et Messieurs les élus, ayez l’audace et le courage de faire le pari d’une nouvelle politique de la ville pour l’avenir de notre pays. Il est grand temps de remplacer le principe de précaution par le principe de confiance !

 

Jean-Philippe Acensi, Président de Bleu Blanc Zèbre

Thierry Mandon, ancien Secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

Claude Jarrot, Maire de Montceau

Frédéric Leturque, Maire d’Arras

Thierry Philippe, Maire du 3ème arrondissement de Lyon

Stéphane Gatignon, Maire de Sevran

Michel Heinrich, Maire d’Epinal